Présentation générale

Le Projet

Ce projet de Code du travail a été rédigé par un groupe de recherche constitué d’une vingtaine d’universitaires, issus de treize universités, tous spécialisés en droit du travail. Ce groupe s’est constitué en décembre 2015, en réaction aux rapports qui annonçaient une refonte complète du droit du travail. Le travail s’est poursuivi durant toute l’année 2016, laquelle fut marquée par les débats relatifs à la loi « travail » du 8 août 2016. Il s’achève en 2017, au cours d’une campagne électorale qui annonce de nouveaux bouleversements.

Cette agitation du droit du travail, qui n’a pas cessée pendant tout notre travail, est peut-être plus vive encore que par le passé. Mais elle n’est pas nouvelle et semble devoir se poursuivre. Le droit du travail ne cesse d’être remanié, réécrit, réformé, depuis une trentaine d’années. Les lois s’ajoutent aux lois dans un empilement inexorable et chaotique. Quelques tentatives de refonte totale ou partielle ont eu lieu, mais elles se sont traduites par de vagues mélanges de textes pour les replacer dans un autre ordre. Les trois codes du travail de l’histoire (1910-1927, 1973, 2008) sont tous des compilations de textes antérieurs, des suites de « copier-coller » plus ou moins bien ordonnés. Aucune remise à plat digne de ce nom n’a jamais été réalisée. La course au volume n’a pas cessé, jusqu’à ce que le sens même se perde.

Un certain point de rupture semble atteint. Plus aucun être humain ne peut prétendre avoir lu l’entièreté ne serait-ce que de la partie législative du code du travail. Pire, au cours de notre travail, alors que nous sommes une vingtaine d’universitaires ayant consacrés notre vie professionnelle à l’étude de cette matière, il nous a fallu reconnaître que ni séparément, ni même ensemble, nous n’avions une connaissance complète de la seule partie législative du code. Le droit du travail en est à un stade tel que nul ne peut le connaître, alors que chacun est tenu de le respecter.

Face à cette situation choquante, certains projets visent à réduire, voire à éradiquer le droit du travail. Cette simplification par le feu, parfois envisagée, est plus effrayante encore que la complexité actuelle. Au cœur de l’épais volume se cachent quelques-unes des protections essentielles sans lesquelles les inégalités exploseraient, sans lesquelles l’entreprise serait laissée au despotisme du plus fort et sans lesquelles la santé et même la vie des personnes serait directement menacée au travail.

Il est urgent de clarifier, de simplifier et d’adapter le code du travail aux réalités nouvelles. Mais il est urgent aussi de consolider un édifice fragilisé, essentiel à la cohésion sociale et, au-delà, à la paix. Notre réécriture du code du travail vise à démontrer qu’un tel travail de clarification et de consolidation est possible.

Le code proposé compte 1390 articles et environ 370 000 caractères. Il est quatre fois plus court que le texte qu’il remplace (1500000caractères seraient remplacés par le présent code) et ne représente guère plus de volume que la loi « travail » du 8 août 2016 à elle seule (La loi travail du 8 août 2016 compte 367 000 caractères de texte).

Cette réduction drastique ne s’est pas faite au détriment de la précision et de la prévisibilité du droit. Le code actuel fourmille de redondances et de contradictions. Les couper, ce fut être plus précis. Cette réduction ne s’est pas non plus faite au détriment de la protection des salariés. Le code actuel est un amoncellement d’exceptions et de voies de contournements qui fragilisent les protections des salariés. Les réduire, ce fut retrouver des principes.

Mais notre travail ne s’est pas limité au nettoyage, ni à la restauration d’un texte abîmé. Les temps changent et il n’est pas interdit de faire preuve d’imagination. Ce code est l’occasion de proposer les innovations qui nous semblent nécessaires dans le contexte économique, social et technologique qui est le nôtre.

Aucun code du travail ne peut être neutre

La matière traverse quelques-uns des débats politiques les plus rudes, les plus vifs de la société française. Et la rédaction d’un code suppose de nombreux et difficiles arbitrages. Il est bien évident que le texte proposé ne prétend sur aucun point apporter une quelconque « vérité », ni aucun « consensus ». Au sein même de notre groupe, nombreuses sont les solutions qui ont été longuement disputées et finalement tranchées par des votes, à de courtes majorités. Le présent code ne prétend qu’à être un droit du travail possible, parmi bien d’autres. Il prétend surtout enrichir les débats, par les nombreuses et parfois profondes réformes qu’il propose.
Au-delà de la grande diversité des opinions des personnes qui composent notre groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT) certaines idées partagées ont toutefois facilité le travail en commun.

Selon nous, la loi doit jouer pleinement son rôle aux côtés des autres sources du droit du travail, internationales, européennes, réglementaires et conventionnelles. Ce projet s’oppose à ceux qui visent à réduire le code à un texte minimaliste, composé de quelques dizaines ou même de quelques centaines d’articles. Il s’oppose tout autant aux projets qui visent à remplacer l’essentiel de la loi par la négociation collective d’entreprise. Le travail salarié est un sujet essentiel, grave. Il requiert un socle légal suffisamment développé et précis.

Ce projet est aussi un acte de militantisme en faveur d’un droit accessible. Même si l’accumulation désordonnée de textes pointillistes et régressifs n’est pas une spécificité du droit du travail, même si l’empilement de lois inadaptées est peut-être pire encore dans d’autres domaines du droit, il convient de ne pas se satisfaire des graves malfaçons du code du travail actuel. Certes, un droit du travail complet ne peut pas être un roman, ni une lecture facile. Il s’agit de poser les règles qui gouvernent le travail dans son extraordinaire diversité, et la chose est difficile. Mais un code doit pouvoir être lu du début à la fin, fût-ce au prix de certains efforts, par une personne de bonne volonté. Cette lisibilité a été un objectif.

Le droit du travail actuel s’appuie sur certaines règles essentielles, issues des leçons de l’histoire, auxquelles nous sommes attachés. Elles ont été conservées et même, pour certaines d’entre elles, renforcées. Mais ce droit contient aussi ses parts d’ombre et ses faiblesses. Il est loin d’être un idéal. Et les défis auxquels il est aujourd’hui confronté sont nombreux : chômage, précarité, « uberisation », essaimage, mondialisation, éclatement des collectivités de travail, multiplication des sociétés écrans, contagion de la vie professionnelle sur le temps libre, méthodes de gestion du personnel invasives, fragilisation de la présence syndicale et de la représentation du personnel…. Écrire un autre code du travail, ce fut donc aussi chercher des idées et des règles nouvelles pour répondre aux défis actuels.

Il reste à espérer que les réactions que ce code suscitera permettront de faire émerger de nouvelles idées, de nouvelles simplicités peut-être aussi. Rien n’interdit d’imaginer qu’enrichie des débats à venir, une nouvelle édition de ce projet puisse voir le jour, plus claire et plus complète encore.

Ce code peut être lu de plusieurs manières

L’ouvrage a été pensé pour pouvoir être lu comme un livre normal, du début à la fin. Mais il peut aussi être lu en allant directement à tel ou tel chapitre, à telle ou telle section, quitte à revenir en arrière pour en découvrir d’autres. Chaque chapitre et même chaque section peut être compris indépendamment de la connaissance des autres parties.
Le livre peut enfin être lu comme le sont habituellement les codes juridiques, en partant de la table thématique, pour consulter la solution proposée à telle ou telle difficulté.

Sur ce qui n’est pas dans ce code

  • Le présent code ne contient aucune disposition relative aux travailleurs étrangers, hormis la prohibition des discriminations selon l’appartenance à une nation. Nous sommes convaincus que tous les travailleurs, étrangers ou non, en situation régulière ou non, doivent avoir les mêmes droits face à leurs employeurs, les mêmes droits syndicaux, les mêmes droits à la représentation…, bref qu’ils doivent bénéficier sans aucune discrimination de l’ensemble du droit du travail. Les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers relèvent du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elles ne devraient pas avoir d’impact sur l’application du droit du travail
  • Le présent code, à la différence du code actuel, ne contient aucune disposition relative à l’outre-mer. Tous les membres de notre groupe sont métropolitains. Nous n’avons ni la légitimité, ni les connaissances pour réfléchir aux éventuelles adaptations nécessaires aux contextes de l’outre-mer. Ces questions appartiennent prioritairement aux chercheurs et aux élus de ces départements et territoires.
  • Le présent code ne traite que de la partie législative du code du travail. N’ont pas été traitées les questions qui relèvent du règlement. N’ont pas non plus été traitées les questions qui sont déléguées à la négociation collective interprofessionnelle. Nous avons concentrés nos efforts sur la partie du droit du travail qui incombe à titre principal au législateur.

Dans un code complet, il serait sans doute nécessaire de codifier directement certaines dispositions qui relèvent de la négociation nationale interprofessionnelle. Ce qui produirait une troisième partie du code : après la partie L et la partie R, apparaîtrait une partie en C. Cette évolution rendrait justice à l’importance de ces négociations sur le droit applicable. Et elle serait conforme à l’idée que poursuit tout travail de codification, à savoir l’accessibilité du droit. Mais elle dépassait notre objectif.

Ainsi, le droit légiféré du service public de l’emploi et de l’assurance chômage a été refondu, mais le règlement général de l’assurance chômage, qui relève de la négociation collective, n’a  pas été abordé. Plus généralement, les questions relatives à la formation professionnelle, lesquelles sont directement issues de la retranscription par le législateur de négociations interprofessionnelles, ne sont pas non plus abordées.

Il ne s’agit pas d’un désintérêt de notre part pour ces matières, cruciales. Elles dépassaient simplement nos objectifs. S’agissant du règlement de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, matières qui requièrent des calculs financiers précis, il faut reconnaîre qu’elles dépassaient aussi nos compétences. Faire des propositions pour remettre à plat ces domaines supposerait un GR-PACT élargi.

Le présent code ne traite pas du droit pénal du travail dans sa globalité. Cela ne signifie nullement que nous considérions ce droit pénal comme inutile ou désuet. Le maintien d’infractions pénales dans notre matière est essentiel, pour marquer la gravité de certains manquements, pour servir d’arme de dissuasion et pour servir d’outil au soutien de l’intervention des inspecteurs du travail. Nous avons au demeurant tracé quelques-unes des grandes infractions cardinales de la matière, comme l’entrave. Mais, sur ce point, nous ne prétendons pas avoir été complets. Un tel travail sur le droit pénal, pour lequel il faudrait nous adjoindre l’aide de spécialistes du droit pénal, est remis à une prochaine édition.